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REVUE
BRITANNIQUE.
IMPRIME CHEZ PAUL RENOUARD,
RLE GARAIfClÈRE, N. 5.
REVUE
BRITANNIQUE
OU
CHOIX D'ARTICLES
TRADUITS DES MEILLEURS ECRITS PERIODIQUES
DE LA GRANDE-BRETAGNE,
TAR MM. L. GALIBERT , DIRECTEUR; BERTON , AVOCAT A LA COL'R ROYALE ;
PHiLARÈTE CHASLES ; amédée ricHOT ; f.géruzez; larenaudière; lesouru ;
eu. COQUERELJ J. COHEN ; GENEST , DOCTEUR EN MÉDECIHE, ETC.
TOME CINQUIEME.
QUATRIÈ3IE SÉRIE.
PARIS.
AU BUREAU DE LA REVUE, RUE DES BONS-ENFANS, 21.
CneZ JDLES REi\OUA.RD, LIBRAIRE, RCE DE TODRVOX, N. 6. CHEZ MADAME VEUVE DO.NDET-DUIT.É, LIBRAIRE, RUE VIVIE.\.\E, N. 2,
183G.
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SEPTEMBRE 185G.
REVUE
RITANNIQUE.
£}htoivc.
ANNALES DE LA MARINE ANGLAISE.
DU TREIZ1E3IE AU QUATORZIEÎIE SIECLE.
Le droit de la force régnait encore. Les nations d'Europe essayaient en vain de faire prévaloir leur commerce et leiu> industrie contre cette suprématie de l'épée , née de la con- quête des Francs , et qui était la base réelle de la féodalité. Sur mer comme sur terre, aucune législation reconnue ne protégeait encore la nation ou l'individu faible contre la violence du plus fort et du plus hardi. C'était une époque de générosité sans justice.
(1) Voyez dans In 7^ livraison, jiiilid 1836,1e premier arlicle de ccUc série, dont l'inlérêl promet d'èlroloiijourscrois.wnt.Danscelarlielc, on trouvera l'ori- gine de cette haine nationale entre la France et l'Angielerre, qui a duré pendant ciuq siècles , et qui n'a commencé à s'effacer que depuis dix ans tout au plus.
$ ANNALES
Le roi Jean , si malheureux et souvent si coupable , encouragea non la marine mais la piraterie. Réfugié dans l'île de Wighl, qui lui servait d'asile contre ses barons courroucés , il appela de tous les pays d'Europe les cor- saires et les aventuriers qui fatiguaient l'Océan , et invita les matelots des ports anglais à embrasser sa cause , à don- ner la chasse à tous les navires portant pavillon étranger , et à s'attribuer les captures que cette chasse pourrait pro- duire. Institution presque algérienne qui ne devait pas durer long-temps : la mort du roi la renversa.
Il laisse pour héritier un enfant de neuf ans , assiégé par les barons rebelles , qui avaient poursuivi le père jusqu'à la mort. Le roi de France voit cette situation et ne veut pas mentir à sa fortune : une flotte de quatre-vingts forts bàtimens , montés par trois cents chevaliers et un grand nombre de soldats , part de Calais sous les ordres d'un Flamand , pirate et moine , qui, après avoir dissipé sa fortune sur terre, était devenu re- doutable sur l'Océan. Les barons anglais , ennemis personnels du roi Jean, mais non de son fds, apprennent que la flotte fran- çaise remonte la Tamise : alors ils se retrouvent Anglais ; ils arment des vaisseaux ; ils sont prêts à combattre. Philippe d'Albany et John Marshall, secondés par Robert de Burgh, comte de Kent , mettent en mer quarante vaisseaux et galères , se placent au vent et trouent du bec acéré de leurs navires les embarcations françaises : plusieurs d'entre elles sont coulées bas. Par un stratagème , souvent employé dans les guerres d'Orient , des monceaux de cliaux vive entassés sur les ponts anglais, exhalent , quand on les humecte, une vapeur épaisse que le vent pousse sur l'ennemi et qui l'aveugle. Les archers anglais profitent de celte circonstance, lancent le carnage sur la flotte française , la couvrent de morts ; bientôt elle est désemparée. Son commandant, le moine Eustache , est trouvé blotti dans la cale, et sa tête coupée est envoyée au jeune roi.
L'invasion étrangère repoussée laissa chez le peuple une
DE LA MARINE AKGLAISE. 7
impression profonde , que le temps n'effaça pas. Plus de quinze ans après, Robert de Burgh , mèié aux orages civils du règne de Henri III , fut fait prisonnier par la faction ennemie et condamné à porter des fers ; on envoya chercher un ou- vrier forgeron de la petite ville de Brentwood, et on lui ordonna de fabriquer et d'appliquer ces indignes entraves. L'homme du peuple amené devant Robert s'apprête à faire son métier. Il lève les yeux, reconnaît l'amiral, et poussant un profond soupir, prononce ces mots , dont rhcroïsme popu- laire doit être recueilli par l'histoire :
Faites de moi ce qu'il vous plaira , et que Dieu ait pitié de mon âme ! Je 7nourrai de la plus affreuse m,ort plutôt que de fahnquer des fers pour cet homme ; j'en jure le Dieu vivant ! N' est-il pas Robert de Burgh , qui a 7'endu l'Angle- terre à l'Angleterre , servi fidèlement le roi Jean , défendu bravement Douvres, la clef du royaume, et reinis rMre pays en tranquillité et en paix ? Que Dieu soit juge entre lui et vous qui le traitez si barbaronent !
Ce cri sublime de reconnaissance , échappé du cœur d'un homme du peuple ; celte gratitude individuelle pour un ser- vice national ; ce beau mouvement , si rare de nos jours , dut frapper vivement l'âme du vieux Robert et adoucir l'amer- tume de son sort.
En 1238, le roi Henri III couchait à Woodslock, lorsqu'un homme, du nom de Clément, s'introduisit par la fenêtre à l'heure de minuit dans le palais du roi. Ne trouvant pas le roi dans sa chambre , Clément le chercha à travers le palais entier : les annales contemporaines affirment qu'une des femmes de la reine , tout occupée de ses dévotions, aux- quelles elle se livrait pendant la nuit , aperçut le meurtrier et appela les domestiques du roi qui s'emparèrent de sa personne. Soumis à la torture , Clément contrefit l'insensé et unit par avouer qu'un seigneur puissant, Guillaume de Ma- risch, avait été l'instigateur du crime. Clément fut exécuté. Guillaume de Marisch , s'emparant de l'île de Lundy , qui
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passait alors pour imprenable, s'y retrancha , bauil les mers, arma des vaisseaux et brava pendant quatre années entières la vengeance du roi. On le saisit enfin, et on l'exécuta avec seize de ses complices : mais il ne cessa de protester de son innocence et de nier l'instigation qui lui était imputée.
Telle était cette époque, remplie d'une tragique gran- deur et d'un intérêt sanglant. La piraterie des ports anglais prit une extension si dangereuse qu'Edouard ne put la dé- truire. Les privilèges accordés aux Cinq-Ports (1) avaient en- couragé leurs entreprises , qui bientôt avaient dégénéré en brigandages; tous les navires étaient pillés, amis ou ennemis. On armait et l'on faisait des captures sans l'autorisation du roi. Des cités entières étaient habitées par les corsaires. Il fallut que son fils , le prince Edouard , parcourût la côte les armes à la main , soumît les villes rebelles et calmât la fureur des populations par des concessions qui attestaient sa fai- blesse. Pendant long -temps, même après cette victoire, le peuple imaginait encore que les habitans des côtes possé- daient la souveraineté de la mer , et qu'ils pouvaient la sil- lonner et la moissonner selon leur plaisir. En 1266, un tri- bunal spécial qui jugeait les évènemens maritimes, toujours en faveur des habitans et au préjudice notable du commerce , siégeait dans ces localités privilégiées. Nul étranger n'ap- prochait des côtes , sans craindre d'être pillé d'abord et condamné ensuite. La civilisation avance ainsi par une lente et pénible route ; les peuples commerçans , les Flamands en- Ire autres , qui les premiers avaient donné une impulsion vive à l'industrie du moyen âge , se plaignaient avec raison de ces
(I) Sous ceUe désignation sont compris les cinq poris siiivans : Douvres, Hastings, RoœneVjHjllie et Sandwich, auxquels on a ajouté depuis V\"inchelsea et Rje. Leur situation sur la Manche, en face delà France, les a toujours fait considérer comme les boulevards de l'Angleterre : aussi, à toutes les époques, ont-ils joui de grands privilèges. Ils ont une juridiction exclusive, desreprésen- tans spéciaux et un gouverneur, grand dignitaire de l'état. Le duc de "VVelling- toQ est aujourd'hui JFaideii oftlie Cinque-Ports.
DE LA MARTINE AAGLAISE. 9
iniquilés. Sans cesse entravés par les guerres interminables des suzerains et des vassaux , ils réclamèrent le droit de con- tinuer librement leur négoce entre la France et l'Angleterre, cju'il y eût guerre ou paix entre les diverses nations. Leur re- quête, facilement accordée, sous condition de ne prendre aucune part active à ces différends , augmenia leur richesse ; et ce premier exemple de la liberté du commerce porta dans la suite des fruits précieux : on vit plus tard les Hollandais, soit bassesse de cœur ou courage , aller jusqu'à vendre, aux nations mêmes qui leur faisaient la guerre, la poudre qui de- vait servir à les mitrailler. Sans doute le temps viendra où la capture d'un vaisseau marchand, sous quelque pavillon qu'il navigue, passera pour une infraction criminelle, pour une atteinte portée au droit des gens, et provoquera le courroux et la vengeance de toutes les nations civilisées.
Le règne orageux de Henri III diminua encore les res- sources maritimes de l'Angleterre ; et la flotte du prince Edouard , partant pour la croisade , ne put se composer que de treize vaisseaux montés par mille hommes d'armes. Ac- cueilli à son retour par la joie et l'espérance publique, salué par les acclamations des bourgeois qui , de leurs croi- sées, jetaient l'or à pleines mains sur le peuple, il justifia tant de prédictions et de presscntimens fa\\prables : la cou- ronne cl le sceptre passaient d'une main faible et d'une tête débile à un bras vigoureux , à une tête puissante. Tous les projets d'Edouard eurent de la grandeur; et même lorsqu'ils ne furent pas heureux , du moins ils furent exempts de bassesse. Ses guerres contre les nobles gallois , cruelles et violentes sans doute , peut-être injustes , furent du moins conduites avec une admirable habileté. Pour cette dernière expédition, les Cinq-Ports armèrent de nombreux vaisseaux. Tout reprit une activité nouvelle, on vit l'armée et la marine renaître, le service fidèle fut récompensé. Le roi renouvela et étendit les vieilles Chartres de liberté des Cinq-Ports. Les curieux d'antiquités du moyen âge ne trouveront pas sans intérêt un
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fragment de cette chartre renouvelée, où le latin de l'époque brille de tout son éclat : « Ita quod quieti {quittes) sint de « omni iheolonio ( impôt ), et omni consuetudine , videlicet, « ab omni bastagio ( droit de port) , tallagio ( taille ) , pas- « sagio ( péage ) , caryagio ( charriage ) , rivagio {impôt des a côtes ) , sposagio ( droit des noces ) , et omni Avrecco « {icreck, naufrage)^ et de tota vendicione , acliato et re- « ç\i^\.Q{achat et rachat), suo, per totam terram etpotestatem « nostram cum socca et sacca {sack andsock), et thol, et « them ; et quod habeant infangenethef , et quod sint wrecfry <c etwytefry, et lestagefry, et lonetopfry, et quod habeant den « et atrone apud gernemouth , etc. , etc. » Ou voit le saxon , le normand , l'anglais moderne et le latin se combiner étran- gement dans celte phrase extraordinaire.
Edouard conçut le dessein de jeter un pont sur le dé- troit de Menai. Ses architectes et ses ingénieurs s'y refusèrent avec raison. L'entreprise était impraticable. Il était réservé à un ingénieur moderne, M. Telford, de jeter dans les airs et de suspendre au-dessus des flots irrités, celte merveilleuse et téméraire arcade de fer qui tremble sous l'orage et qui résiste à ses efforts : l'un des plus beaux travaux de ce genre qu'ait produits l'industrie des derniers temps.
La race normande , confondue avec la race saxonne , avait oublié sa descendance et n'appartenait plus qu'à l'Angleterre ; l'esprit national se formait. Déjà commençait à poindre celte terrible rivalité des deux nations que sépare la Manche; hostihté profonde et sanglante, qui, pendant six siècles, a opposé sur toutes les mers et sur tous les continens , la France à l'Angleterre et l'Angleterre à la France. On en trouve les pre- mières traces en 1293. Alors la France commençait à créer sa marine : et l'Angleterre , pressentant sa force , prévoyant qu'elle ne devait compter que sur ses vaisseaux , lançait un regard de jalouse inquiétude sur les navires de ses voisins. Souvent des conflits parliels annonçaient une animosité nais- saute, mais farouche. Six vaisseaux anglais, qui faisaient
DE LA MARIKE ANGLAISE . 11
voile vers Bordeaux pour côtoyer la plage de Gascogne, fu- rent attaqués par une flotte normande qui brûla deux de ces bâlimens, et fit pendre plusieurs hommes de l'équipage. Aussitôt lord Robert Tiptopt , commandant la flotte anglaise, fait voile vers la Normandie , pénètre dans l'embouchure de la Seine, s'empare de six navires qui y étaient au mouillage^, massacre les équipages et attend le passage d'un antre convoi chargé de vin, dont tous les navires sont détruits. Les deux nations prennent feu : les Irlandais et les Hollandais se joignent aux Anglais ; les Génois et les Flamands se ratta- chent aux Français. Une bataille sanglante, long- temps iné- gale, dont les chroniqueurs n'indiquent pas la localité pré- cise, et dont les deux peuples s'attribuent les honneurs, signala la première grande lutte des deux marines en- nemies. Trois flottes anglaises sont rapidement équipées ; l'une remonte la Garonne, et fait plusieurs captures impor- tantes. Cependant le roi de France arme des navires , et la Grande-Bretagne, si souvent victime des invasions , com- mence à craindre une invasion nouvelle. Le conseil royal prend des mesures sévères ; il ordonne que les étrangers qui habitent les côtes se retirent dans l'intérieur des terres; que les vaisseaux ou embarcations qui leur appartiennent soient démâtés et désemparés. La surveillance des côles est exercée avec une rigueur extrême ; et les moines eux-mêmes, souvent accusés d'espionnage , sont forcés de quitter leurs couvens bâtis sur les dunes ou sur la plage.
Ce fut alors qu'un Anglais, nommé Tuberville , chevalier brave, que les Français avaient fait prisonnier en Gascogne, et que sa captivité ennuyait, céda au désir de revoir l'Angle- terre , et trahit sa patrie dans l'espoir de la retrouver. Il pro- mit aux Français de soulever contre l'Angleterre la princi- pauté de Galles, et de livrer à la France la flotte anglaise dont il espérait obtenir le commandement. De retour auprès d'Edouard , il sollicita , en effet , le commandement de la Hotte 3 mais eu vain. Le roi, qui l'accueillit honorablement,
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lui refusa ce dangorcux cMiiploi : « Dieu le voulait ainsi! « dit Icchroniquou!'.
On comptait beaucoup en France sur le succès de la tra- hison : une flotte de trois conis voiles, équipée à Marseille et à Gènes , chargée de soutenir ce mouvement et d'en re- cueillir les fruits, vint attendre la flotte anglaise qui, se- lon les promesses de Tuberville , devait passer en des mains ennemies. Après une attente inutile, l'expédition française approche de la côte et jette à terre des espions. On les saisit et on les pend. Cinq galères approchent davantage ; l'une d'elles mouille en vue de Portsmoulh : les habitans font mine de fuir dans l'intérieur des terres; l'équipage français les poursuit, tombe dans une embuscade et est massacré : la ga- lère est livrée aux flammes. Ce fut alors que le commandant français , furieux du peu de succès de son expédition , fit voile vers Douvres, s'empara de la ville, la mit à feu et à sang, et se retira chargé de dépouilles. Un moine bénédictin , nommé Thomas , laissé seul dans le couvent , refusa de quitter le sanctuaire et d'indiquer aux Français les trésors cachés qu'il renfermait; on le tua près de l'autel : les citoyens de Douvres demandèrent sa canonisation. Mais saint Thomas de Cantorbéry avait déjà reçu la sanction pontificale, et ces deux saints Thomas, si voisins l'un de l'autre, ne permirent pas au Saint-Siège d'exaucer le vœu des habit ns. Edouard envoya le traître Tuberville au supplice et médita sa ven- geance contre la France , qu'il menaça d'une expédition formidable.
Elle manqua, faute de discipline. Depuis long-temps les matelots des Cinq-Ports et ceux d'Yarmouth, vivaient dans une hostilité déclarée. A peine Edouard, qui avait promis secours au comte de Flandre contre le roi de Fiance , eut-il débarqué à Sluys, le parti d'Yarmouth et celui des Cinq- Ports en vinrent aux mains: leur acharnement détruisit toute la flotte de leur souverain. Les matelots d'Yarmouth y per- dirent vingt-cinq vaisseaux qui coulèrent bas ; trois des plus
DE LA MARINE ANGLAISE. 13
gros navires, un entre antres qui portait le trésor royal, perdirent leur équipage , furent démàlés et jetés en pleine mer. Il fallut que le roi , victime de cette guerre civile , renonçât à son entreprise et revînt à Londres.
Combattre la France par la force des armes, ce n'était pas assez: Edouard voulut la combattre par la politique, les al- liances et la diplomatie. Son ambition calcula les avantages que procureraient à l'Angleterre son union avec les Pays-Bas, et la ligue de ces deux pays contre Philippe-le-Bcl. Guy, comte de Flandre, vieillard paisible, ne songeait qu'à main- tenir dans le repos et l'exercice de l'industrie des sujets qu'il aimait. Il promit au fils d'Edouard , Edouard de Caernarvon , sa fiile la plus jeune, Philippa. A peine le bruit de cette union se répandit-elle, que le roi de France s'clïiaya : c'était déjà ( dit le Portugais Sucyro) une maxime d'état admise par la po- litique française que les plus grands périls s'attachaient à l'al- liance de deux pays commerçans voisins de la France. Décidé à rompre ce dessein , Philip}x; invita le comte Guy à venir le trouver à Corbeil, où il le reçut, ainsi que la comtesse, sa femme, avec une injurieuse dureté, l'accusant de déloyauté et de perfidie. «Disposer de sa fille sans s'assurer de l'assenti- ment du suzerain, c'était ( disait-il) un crime au premier chef ». Le vieillard répondit par des protestations de loyauté. Enfermé , ainsi que la comtesse , dans la tour du Louvre , il en appela au jugement de ses pairs , qui , plus équitables que le roi, demandèrent la liberté des deux prisonniers, à con- dition que le comte Guy remettrait sa fille en otage et ne contracterait aucune alliance avec rx^ngleterre. La malheu- reuse Philippa , livrée au roi de France par ses parens qui la quittèrent , « dit l'historien Sucyro, avec beaucoup de dou- leurs et de larmes , » con grandes lagrimas y sentimientos ; fut prisonnière à l'âge de seize ans ; Guy frappé d'une affliction profonde revint dans son pays. Le pape, dont il invoqua le secours, menaça Philippe -le -Bel d'excommu- nication , et exigea la remise de Philippa entre les maius
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de son père. Vaine menace; les foudres de l'Église furent impuissantes: la justice, soutenue par l'autorité pontifi- cale , a toujours exercé peu d'influence lorsque la force des armes ne la soutenait pas. Les anathèmes des papes n'ont pesé dans les destinées du monde que ligués avec l'influence de l'or, la marche des armées et l'effort des ambitions ar- dentes. Les menaces du légat provoquèrent la risée de Phi- lippe-le-Bel. Alors Guy écouta les propositions d'Edouard , roi d'Angleterre; de l'empereur Adolphe; du duc d'Autriche; et de quelques autres puissances inférieures. Une vaste ligue contre la France fut formée. Edouard s'engageait à l'assister de troupes et d'argent ; et il fut stipulé que si la détention de Philippa continuait, ou si elle venait à mourir, sa sœur épou- serait le prince de Galles. Le roi et le duc prêtèrent serment sur les Écritures saintes et jurèrent de ne jamais contracter de paix séparée avec la France: sermens inutiles, que la politique ne manque jamais de briser.
La guerre éclate, Edouard conduit ses troupes en Flandre, et leur insubordination, leurs violences, révoltant les citoyens de Bruges et d'Ypres, les exposent à des vengeances et à des combats qui les chassent bientôt. Les Ecossais se lèvent à la voix de Wallace : le roi Edouard voit de nouvelles difficultés l'envelopper de toutes parts ; il recule prudemment ; et redou- tant les résultats d'une alliance obstinée avec le malheureux comte de Flandre, il oublie son serment inviolable, se re- tourne vers la France , demande à Philippe-le-Bel sa fdle pour le prince de Galles , et épouse lui-même une sœur de Philippe. Les autres confédérés , moins prudens et plus loyaux, soutiennent la guerre commencée; mais la destinée semble prendre parti pour la cause injuste, contre la mal- heureuse Philippa. Une jeune fdle sans tache, un vieillard innocent , sont sacrifiés par la bataille de Bouvines : Dieu est pour les (jros escadrons! Quatre ans d'un cachot obscur écrasent ces deux victimes , dont fhistoire n'a pas assez fait ressortir la pureté et la grandeur. Relâché pendant une trêve,
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le duc apprend que la irève expire : au lieu de fuir, l'hono- rable vieillard revient, à l'expiration de la trêve, se constituer de nouveau prisonnier. « Ponctualité sublime , qui ne triompha « pas , dit l'historien portugais , de la dureté du roi. » II mou- rut à quatre-vingts ans dans la prison de Philippe-le-Bel , et son cadavre vénérable , enfermé dans une bière de plomb , fut remis aux députés du pays. Quant à Philippa , elle ne connut ni liberté ni bonheur; la mort seule la délivra: comme son père, elle expira sous les verroux du roi de France. Malheu- reuse enfant, dont le sort tragique, l'une des plus aifreuses iniquités de l'histoire est à peine l'objet d'un souvenir pour les historiens !
Deux années après , Edouard de Caërnarvon épousa Isa- belle , fille de Philippe-le-Bel , celle que Shakspeare a nommée la Louve Française : mariage qui sanctionnait et consa- crait tous les actes injustes et atroces des années précé- dentes ; et les prétentions de Philippe-le-Bel ; et l'abandon d'Edouard; et le martyre de Philippa et de son père. L'An- gleterre et la France s'unissent : on s'attend à toutes les félicités , à toutes les gloires ; deux couronnes puissantes n'en font qu'une. <c Mais ce mariage ( ainsi parle Sueyro ) cé- cc lébré avec l'éclat le plus pompeux et la plus vive allégresse , ce fut pour la France une source de ruine et de malheur, ce A ce titre les Anglais se prétendirent maîtres de la France: a et leur réclamation , suscitant d'interminables combats , ce fit couler des torrens de sang. iVotre Seigneur, ajoute ce l'écrivain catholique, permit un tel résultat par un juste ju- ce gement , afin que les hommes reconnussent combien leurs ce opinions sont incertaines et fausses. Certes, les Français ce eussent beaucoup mieux agi dans leurs intérêts, s'ils ne se ce fussent pas uniquement opposés au mariage de Philippa ce et d'Edouard. »
Suivons celle dramatique histoire dans ses rapports avec les progrès de noire marine. L'inimilié infatigable de l'xVn- glelerre cl de la France paraissait devoir s'éteindre et s'affai-
16 A>>ALES
blir sous rinfluence de ce traité, scellé par un mariage; mais Edouard n'oublia pas ses intérêts. L'ambitieux Edouard, en s'alliant à l'injuste Philippe -le- Bel, eut soin de faire reconnaître et sanctionner légalement , pour la première fois, celte souveraineté de l'Angleterre sur les mers, souveraineté illusoire et vaine si elle n'est protégée par la suprématie réelle. Edouard avait de l'argent, des hommes, un commerce naissant et de l'audace : il mit en avant celte prétention que sa valeur et son adresse soutinrent. Quant à Philippe, il ne discuta pas les bases de Ja soveraifjne seigneurie des mers, que s'atiribuait la Grande-Bretagne.
Quelques rapports internationaux s'établissaient ainsi : Alphonse-lc-Sage , roi de Castille, beau-frère d'Edouard, obtenait le droit d'employer des Anglais à la construction de ses navires ou d'acheter dans les ports d'Angleterre les ga- lères et vaisseaux qui devaient lui servir contre les Maures. A celte époque même, la supériorité était acquise à notre construction navale. On voyait aussi se former les alliances naturelles et nécessaires des intérêts européens qui se grou- paient par masses. Les Espagnols se rapprochaient des An- glais; jamais, en dépit des circonstances et des hasards de la politique, il n'a régné entre ces deux peuples ce sen- timent profond d'inimitié qui est entré jusqu'au fond des cœurs , en France et en Angleterre. Dc-jà Edouard F'', qui avait épousé la fille de Philippe-lc-Hardi , avait ressenti profon- dément cette haine. Son premier fils, malade toutes les fois que sa mère française lui donnait le sein , acceptait volontiers le lait d'une nourrice anglaise : « Dieu te bénisse, mon fils, (c s'écriait le père! Tu es bien un véritable Anglais! Continue (c ainsi , et n'accepte rien de la France ! » Les Français nous rendaient bien ces sentimens. Toute leur politique était di- rigée contre nous; craignant l'unité de la Grande-Bretagne et sa situation insulaire; ils n'oubliaient rien pour paralyser les efforts de nos rois, qui voulaient centraliser leurs forces et doubler leur puissance. Peuple et seigneurs partageaieni
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le même éloignement : la dcfiance était mutuelle et amère. Les instructions données aux matelots anglais, qui péné- traient dans un port de France, attestent le peu de sym- pathie des deux nations : ces derniers devaient se mettre en garde contre toute surprise ; être prêts au combat; ne s'aventurer sur le rivage que bien armés, et se réserver, en cas d'attaque, la facilité d'une retraite. L'hostilité était dans les âmes.
Au surplus , les matelots européens étaient moins alors des marins disciplinés que des bandits. Sous quelque pavillon qu'ils naviguassent, ils ne montraient de respect ni pour la propriété, ni pour le droit des gens; ainsi se conduisent aujourd'hui les corsaires de la presqu'île Malaye. La mer était le théâtre d'un immense brigandage: Français, Espa- gnols, Portugais, Anglais, donnaient, sans distinction, la chasse aux pavillons amis ou ennemis qui leur promeKaient ime proie. On accuse les Espagnols de celle époque d'avoir arboré le pavillon portugais pour exercer la piraterie, et surtout pour irriter l'Angleterre contre le Portugal. Cha- cun se croyait en droit de soulever les plus étranges piTten- tions. Le roi de France, en guerre avec la Flandi-e, apprit que le connétable de Douvres avait mis l'embargo sur un vaisseau espagnol chargé d'armes et de munitions destinées aux Flamands. Aussitôt, il écrivit à Edouard qu'il ce le sup- <c pliait de vouloir bien s'approprier ce vaisseau, et réduire tt en esclavage ceux qui le montaient , iamqumn serros et « exclavos. :» Edouard lui répondit qu'il ignorait cette cir- constance, mais qu'il ne manquoiait pas d'agir ainsi que le roi de France le desirait. Le transport d'armes et de muni- lions destinées à des ennemis était un des sujets les plus fréquens de querelles et d'hostilités : souvent on pillait, sous ce prétexte, un vaisseau neutre et innocent. Sans cesse en- travé, le commerce élevait de temps en temps sa tête affaiblie : les encouragomens qu'il recevait par intervalles étaient loin d'équivaloir aux atteintes perpétuelles qui lui étaient poilécs. y.—k" siiKiE. 2
18 AMNALES
L'Aquitaine et la Guyenne , provinces qui frémissaient de se voir anglaises, s'impatientaient de ce joug, et payaient avec peine les impôts; l'Angleterre, de son côté, faisant balayer les mers par ses navires, amenait dans ses ports cent vingt vaisseaux normands, et confisquait les biens de tous les Français domiciliés dans la Grande-Bretagne. Les couvens et les monastères de la côte , dans lesquels se trouvaient de;5 prêtres français, furent repeuplés de nationaux ; sévérités que l'on peut qualifier d'un autre nom et qui donneront quelque idée de l'animosité anti-gallicane qui pénétrait déjà tous les esprits. Le siècle suivant porta les fruits sanglans de cette animosiléj et la science navale, au lieu de s'appliquer au com- merce et à la richesse des peuples , ne fut que la vassale de CCS haines séculaires.
En 1327, les forces maritimes de la Grande-Bretagne avaient subi une décadence , naturellement expliquée par les troubles civils du pays et les guerres intestines qui avaient pesé sur lui. Edouard III, placé sur le trône par les crimes de sa mère et la déloyauté de ses partisans , trouva la marine royale presque entièrement détruite. Il renversa, d'une main courageuse, le favori de sa mère, s'empara du gouvernement et consacra toute son énergie à reconstituer l'armée de terre et de mer : il était temps. Le conflit entre les deux grands peuples voisins était imminent et devait être terrible : la mau- vaise organisation de la féodalité rendait cette lutte inévi- table. Comme duc d'Aquitaine, le roi d'Angleterre devait hommage au roi de France ; hommage qu'il refusait ou esquivait. Petit-fils de Chaiies-le-Beî, par les femmes, il prétendait au trône de France , occupé par Philippe -de- Valois, neveu du même Charles-le-Bel. Les pairs de France repoussèrent sa prétention ; l'on sait avec quel mélange d'astuce, de hardiesse, de réserve et de violence, il refusa wne partie de l'hommage que son suzerain exigeait de lui ; écarta la cérémonie du vasselage , protesta secrètement contre l'acte auquel il semblait se soumettre eu public j
DE LA MAiVI5E ANGLAISE. %y
et, à force de délais, de subterfuges, d'embarras et d'incir- dens habilement ménagés , laissa en suspens deux questions épineuses : l'hommage à rendre au roi de France , et la légi- time propriété de cette couronne. Il voyait ce beau pays di- visé; les suzerains armés contre les suzerains; le peuple ac- cablé de corvées et d'impôts; l'autorité royale mal assise; l'art de la guerre livré au seul courage , sans discipline et sans prudence; les communes mécontentes, et prêtes à suivre l'exemple des turbulentes communes de Bruges et de Gand; tout une partie de la France et l'une des plus riches, au pouvoir des Anglais ; la rivalité sanglante des nobles qui lui ménageait de redoutables appuis; enfin, le peuple anglais animé d'un grand désir de conquête et se promettant le pil- lage de la France. L'occasion était favorable : il la saisit.
Philippe-de-Valois n'ignorait pas ces projets et ces vues. Bien que la guerre ne fût pas déclarée, il multipliait, autant qu'il était en lui, les embarras de son compétiteur, lui sus- citait des ennemis acharnés et fomentait la guerre que lui livraient les Écossais sauvages. Ces derniers, appelant à eux les nombreux aventuriers dont l'Europe était infestée, se réunissaient à Calais, y armaient des navires et venaient désoler et piller les côtes anglaises. Une guerre ouverte eût causé moins de désastres. Edouard veut équiper de nouvelles flottes; il rencontre des obstacles; rien de ce qui est néces- saire à la construction des navires ne se trouvait à Bristol; il fallut éteindre , avant tout , la vieille inimitié d'Yarmouth et des Cinq -Ports ; perdre beaucoup de temps dans cette inutile diplomatie et ces stériles préparatifs. Nulle loi inter- nationale ne réglait encore les rapports de guerre et de paix entre les peuples. La Sicile neutre arme des vaisseaux pour l'Ecosse et l'on ne peut empêcher ces arméniens ; tous les ports de Flandre tiennent pour la France, et les embarras se mul- tiplient.
Le peuple et le roi d'Angleterre, unis dans la même pensée, opposent autant de persévérance que de courage et d'habileté
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ù ces difficultés nombreuses. Pendant que les Écossais clier- chent à se procurer des vaisseaux dans la Méditerranée et en Norwège , Edouard prend à son service des navires et des marins génois. L'hostilité des Français éclate : ils s'emparent de l'île de Cadsand (formée par les alluvions de l'Escaut), d'où ils se répandent sur les parages voisins , dévastant les côtes et pillant les convois. Une flotte anglaise, com- mandée par sir Walter de Blanny, amiral des ports sep- tentrionaux, part de Londres et fait voile vers celte île. Arrivés en vue de la ville principale , les cinq cents hommes d'armes et les deux mille archers anglais font sonner leurs trompettes. Leurs adversaires sont cinq mille chevaliers avec leur suite , commandés par Guy , bâtard de Flandre , sans compter les habitans de l'ile , braves et aguerris , et les ci- toyens du Dam qui se souviennent du pillage de leur cité, tous sont résolus à défendre leurs foyers jusqu'à la mort.
On fit seize chevaliers avant la bataille, selon l'usage. Les habitans se rangèrent le long de la chaussée , pour attendre les Anglais, leurs bannières flottant au vent. La première grêle de flèches qui jaillit de ces grands arcs anglais, si re- doutés, fit reculer les hommes de Cadsand; mais ils ne tardè- rent pas à se rallier et disputèrent bravement le terrain; la mêlée devint affreuse. Henry Plantagenet , digne de son nom, s'avançait enveloppé d'une cotte de maille épaisse ; dans le choc , il tomba : cette muraille d'acier et d'airain qui le proté- geait, l'empêcha de se relever. Sir Walter, l'amiral, qui combattait près de lui, le voyant se débattre siu' la terre, fit voler autour de lui sa gigantesque hache d'armes :
A la rescousse, s'écria-t-il , Lcmcaslre pour le duc de Derhy !
Les morts tombaient sous ses coups pressés, comme les épis sous le fléau. Quand la place fut libre, il releva Planta- genet , dont la présence et l'héroïsme rendirent le combat plus ardent. Les archers anglais , fidèles à leur renommée , assu- rèrent la victoire. A une époque où l'artillerie était inconnue.
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ces flèches lointaines, dirigées par un coup-d'œil sur , et frap- pant l'ennemi au défaut de la cuirasse, décidaient du sort des batailles. Toutes les défaites que la France eut à subir pendant le cours de ce siècle, malgré l'intrépidité de ses soldats et la valeur héroïque de ses chevaliers, n'eurent pas d'autre cause. Habituées à jouir de droits plus éten- dus que les Communes de France, les Communes anglaises faisaient leurs délices d'un exercice guerrier, qui leur valut bien des victoires; mais les suzerains de France auraient au avec peine des armes si redoutables entre les mains de leurs vassaux. Aussi ne favorisaient-ils point le maniement de l'arc : la bouillante noblesse de France voulait que l'honneur des combats appartînt à elle seule. Cette prétention héroïque tourna bientôt à son détriment : les plus briilans chevaliers se précipitaient en tumulte dans la mêlée ; tandis que les archers anglais , sortis des Communes , masses compactes et terribles , jonchaient le sol d'ennemis morts. ACadsand, les archers anglais triomphèrent encore ; le bâtard de Flandre fut fait prisonnier; la ville mise à feu et à sang; plus de trois mille hommes périrent; et les vainqueurs, qui avaient acheté cher leur victoire, revinrent à Londres, chargés de dépouilles.
Edouard espérait la conquête de la France; mais son peuple commençait à se lasser de payer des impôts. Dans les comtés d'Essex et de Sussex, les taxes réclamées pour la défense des côtes furent obstinément refusées: le roi envoya des troupes pour protéger les percepteurs, et il fallut entrer en composi- tion avec les mécontens. Aussitôt les Français profitent de ces révoltes ; ils accourent et mettent le feu à Porlsmouth , que l'on déclare exempt d'impôts pendant six années. Londres est for- tifié. Dans la crainte d'une invasion, l'ordre est donné de son- ner le tocsin dans toutes les églises qui bordent la côte, dès qu'on apercevra l'ennemi. Pn'caulion dictée par la prudence ; mais qui peut faire apprécier l'état des esprits, les senlimens des deux nations, la crainte inspirée aux Anglais par les armé- niens du roi de France, et l'animosité de ses sujets. L'Edouard
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Cl le Chrisfop/ie, deux grands vaisseaux anglais, chargés de laines et d'argent qu'ils rapportaient de Flandre, furent cap- turés après un combat de neuf heures : six cents Anglais pé- rirent. Toutes les plages basses de la (irande-Bretagne, expo- sées aux attaques des Français , se couvraient de ruines et de débris. Hastings, les havres de Devonshire et de Cornouailles , le détroit de Bristol, voyaient les vaisseaux français vomir, sur leurs rivages, des guerriers terribles et sans pilié, qui pillaient et brûlaient les maisons et les navires. Plymouth n'était plus que cendres.
Le vieux sir Hugues de Courtenay, malgré ses quatre- vingts ans, arme les hommes de la côte, les anime , les con- duit au combat, et fait fuir les agresseurs. Accablés par les arbalètes françaises, les hommes de Courtenay mar- chent à l'ennemi , le repoussent dans les eaux et y noient cinq cents honnnes. Les Français ne se découragent pas : cinquante de leurs vaisseaux remontent jusqu'à Southamplon; c'était dimanche : tout le monde se trouvait à l'église. La ville, ainsi surprise, fut mise à sac. Pendant un jour et une nuit, le pillage, le massacre', l'incendie accomplissent leurs saturnales. Les gibets s'élèvent dans les rues : tous les nobles que l'on rencontre y sont suspendus. Sur ces ruines fumantes, les matelots vainqueurs s'enivrent , et le comte d'Arundel , ralliant un corps d'Anglais , pour les attaquer, les trouve incapables de se défendre ; plus de cinq cents périssent. Un des fils du roi de Sicile , qui se trouvait parmi les agresseurs , lutte quelque temps contre un paysan athlétique qui , armé d'un fléau , abattait tout sur son passage.
« Rançon , rançon , lui cric-t-il en français !
— Oui , répond le paysan , qui ne savait pas un mot de cette langue des gentilshommes, je sais que tu es un Frmiçon et lu mourras ! »
Efl"rayé par ces attaques continuelles des flottes françaises ; le roi donna les ordres les plus sévères pour fortifier Win- chester, Chichester et Southamplon. A cette époque où la
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vassalité emportait toujours le service militaire ; les habiians , d'après le commandement exprès du roi, furent forcés de se procurer des armes, de faire le guet sur leurs murailles et de revenir habiter leurs maisons, qu'ils avaient abandonnées; il le fallait, sous peine de voir leurs propriétés confisquées et absorbées par le domaine royal. Lord Richard Talbot, avec vingt hommes d'armes et cent archers soldés par le roi , prit le commandement de Southampton et reçut 100 ^ à titre de prime ou de gratification. L'évêquc de Winchester, le prieur de Swithin , l'abbé d'Hyde , reçurent l'ordre de ne pas quitter leurs manoirs voisins de la côte. Ou garnit d'armes et de mu- nitions le château de Carisbrook ; et les habitans de l'île de Wight, auxquels il était défendu de quitter leur île, reçurent en échange l'exemption de tous les impôts, et le droit de n'être appelés , pendant toute la guerre , à siéger comme membres d'aucun jury cl d'aucune espèce d'enquête.
On songeait aussi à la guerre agressive. Les Communes offrirent au roi ( sous de certaines conditions qu'il pouvait accepter ou refuser) trente mille balles de laine , dont deux mille cinq cents qu'elles le priaient d'accepter en tout état de cause. La Chambre des Lords lui accorda la dîme de tous ses revenus pour l'année. Les Cinq-Ports offrirent d'appa- reiller, pour une époque fixe, trente vaisseaux, dont vingt- un appartenant à leurs ports et neuf à la Tamise. Ils devaient supporter la moitié des frais ; le conseil privé s'offrit à en sup- porter l'autre moitié , sans prétendre établir ce libre don comme un précédent et comme un privilège royal. Les matelots de l'ouest promirent de mettre à la voile quatre-vingt-dix navires et dix vaisseaux de cent tonneaux équipés à leurs frais; enfin le rendez-vous fut donné à Dartmouth. Pour augmenter le nombre des matelots enrôlés par la presse et par la redevance féodale, une proclamation du roi invita tous ceux qui avaient reçu de lui des chartes de grâce , à venir à bord de ses vais- seaux pour y faire leur service.
Les matelots des Cinq-Ports , ardens à venger les uijurcs de
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leurs concitoyens, n'attendent pas même les ordres royaux; ils équipent à leurs frais, au mois de janvier 1340, des pinasses et des chaloupes qu'ils lancent à travers les brumes et la bise, et vont surprendre Boulogne sans défense. Dix- neuf galères , quatre grands vaisseaux, vingt chaloupes, tous les magasins et tous les ateliers de marine sont incendiés; la ville basse est détruite ; on pend douze capitaines de vais- seau. La civilisation n'avait pas encore adouci les atrocités de la guerre et la rage était au cœur des deux peuples. On essaya de tenir une conférence pour terminer cette situation si dé- favorable au commerce; mais l'aigreur des esprits était ex- trême, et rien ne put la calmer. Deux cardinaux assistaient à cette conférence. Edouard dit à l'un deux :
« Vous savez avec quelle cruauté les Français ont traité mon peuple; n'ai-je pas raison de leur rendre le mal pour le mal? — Monseigneur, répondit un des cardinaux qui était Ita- lien, la France est liée d'une corde de soie que vous aurez de la peine à rompre; c'est un grand pays: attendez, avant d'agir, vos confédérés les Hollandais et les Flamands! »
Edouard répondit au cardinal par des imprécations : il partageait l'irritation de son peuple contre la France , irritation qu'il excitait encore. Trois semaines après, toute la côte fran- çaise était à feu et à sang. Ce fut alors que lord Scroop fit monter avec lui , sur le sommet d'une tour d'où l'on découvrait les plaines françaises, le même cardinal dont nous venons de rapporter la conversation avec Edouard. On n'apercevait au loin que villages en flammes , édifices ruinés , laboureurs en fuite.
« Qu'en pense votre éminencc, demanda lord Scroop au cardinal. La corde de soie me semble prête à se rompre? »
Le roi de France répondait aux menaces par les menaces, aux massacres, par les massacres. Le comte de Salisbury et le fils du comte de Suffolk , faits prisonniers au siège de Lille, traversèrent la France dans une charrette, exposés aux ou- trages et aux sarcasmes de la populace.
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ccVoici , dit-on au roi , quand on les lui présenta , un heu- reux présage et un gage assuré de vos succès futurs !
« Qu'on les mette à mort, s'écria-t-il. »
Jean de Luxembourg , l'aveugle , roi de Bohême , qui avait abdiqué sa couronne , prit la parole :
ce Sire , dit-il, je ne m'enlrcmettrais pas dans celte affaire,' si vos prisonniers n'étaient d'un mérite qui égale leur rang ; mon avis est que l'on ne doit pas égorger de sang-froid un ennemi vaincu. Ce sont les ennemis de Votre Majesté ; oui, sans doute ; mais des ennemis honorables , qui ne se sont bat- tus qu'après le défi de guerre dûment porté , et dans la que- relle , juste ou injuste, de leurs seigneurs naturels. Il n'est pas probable qu'ils